La philosophie du projet « La langue pour le travail »

Le projet « La langue pour le travail (LfW) » repose sur deux idées majeures: la diversité constitue une ressource clé et la coopération un puissant moteur de progrès.
L’Europe offre une riche diversité d’approches en matière d’apprentissage, de structures et de politiques du marché du travail. Les situations européennes sont diverses à bien des égards, notamment quant à la nature de l'apprentissage des langues liées au travail, la manière dont le travail est organisé, la structure du marché du travail et les approches de l'apprentissage, en particulier pour ce qui concerne les questions de migration.
Différentes approches et pratiques visant à soutenir l’apprentissage des langues ont été développées dans toute l’Europe en réponse à des réalités très différentes. « La Langue pour le travail » peut servir de source d’inspiration en proposant un éventail de solutions possibles aux enjeux que représente le soutien au développement de la L2 lié au travail par les migrants et les communautés ethniques. Dans le contexte de « La langue pour le travail », ces solutions ne sont pas envisagées comme autant d’exemples à simplement « reproduire » et à transférer à d'autres contextes, mais plutôt comme une source d'inspiration. L’expérience prouve que de tels exemples de pratiques peuvent susciter des solutions locales novatrices et favoriser l’innovation.
La coopération entre les différents acteurs de terrain s'est également avérée être un facteur crucial pour exploiter pleinement les avantages potentiels qu’offrent la variété et la diversité. Le réseau « La langue pour le travail » comprend une large palette de partenaires potentiels et encourage le dialogue entre chercheurs et praticiens, professionnels de différents pays, langues, disciplines et secteurs (de la langue des services sociaux à celle du secteur industriel).

Notre compréhension de la langue et de la communication

1. Langue et communication

La langue est bien plus qu'un système formel de grammaire et de lexique à apprendre en classe. C'est un instrument pour construire des réalités sociales, y compris les connaissances et le savoir-faire professionnels / liés au travail. L'utilisation de la langue est interpersonnelle et est donc façonnée par les normes sociales et les relations de pouvoir. La négociation du sens est bilatérale et dépend de plus que de simples formes linguistiques. Dans tout acte de communication, les personnes impliquées partagent la responsabilité de la compréhension mutuelle. Dans le contexte du travail, cela inclut les employeurs et les collègues.

2. Compétences langagières en lien avec le travail

Les compétences linguistiques liées au travail sont les compétences dont les personnes ont besoin pour trouver un emploi convenable, pour apporter une contribution positive en tant qu'employées, pour progresser au travail, apprendre et s’y développer. Généralement, ces compétences sont spécifiques au contexte et évoluent constamment. Elles reflètent non seulement les diverses exigences en matière de communication (au rôle changeant selon les cas) dans des champs professionnels particuliers, mais également les normes sociales liées au travail, à la fois transversalement et dans des contextes spécifiques.

3. Apprendre une langue

L'apprentissage d'une langue est le processus par lequel un apprenant acquiert une capacité de communication dans la langue cible. Ce processus se déroule sur une période de temps et sous différentes formes, dont la plus importante est l'interaction dans la langue. Le processus se déroule dans l’environnement de l'apprenant, mais il peut être pris en charge de différentes manières, y compris, mais sans s'y limiter, dans le cadre d’une instruction formelle.

L'encouragement à l'apprentissage d'une langue a plus de chance d'être efficace lorsqu'il est basé sur une compréhension réaliste de l'acquisition de la langue par les adultes. En ce qui concerne l'apprentissage des migrants en L2, différents acteurs (y compris les employeurs et les collègues de travail) ont beaucoup d'occasions d'aider les apprenants de différentes manières.

4. Encourager l'apprentissage de la langue au travail

L’encouragement sera potentiellement plus efficace lorsqu’il associera l’expertise dans l’apprentissage des langues à une compréhension des exigences du travail. En pratique (et sans surprise, compte tenu de la diversité des exigences professionnelles), cette combinaison de compétences est rarement regroupée dans un individu ou une organisation. Par conséquent, la collaboration entre des acteurs de différents domaines, tels que l’enseignement des langues, l’enseignement et la formation professionnels, le soutien du marché du travail et le lieu de travail lui-même, sera probablement nécessaire.

5. Rôle des enseignants/formateurs de L2 et pourvoyeurs de formation

Les enseignants et les prestataires de L2 apportent généralement une expertise dans l’enseignement des langues dans des environnements formels. Parfois, ils apportent aussi une expertise dans d'autres façons de soutenir l'apprentissage des langues. Ils peuvent également apporter une expertise dans des domaines professionnels spécifiques, bien que cela soit moins courant.

Pour apporter un soutien efficace à l’apprentissage des langues en lien avec le travail, une expertise dans le domaine professionnel concerné reste un prérequis. Cela nécessite indubitablement que les enseignants et les prestataires de L2 coopèrent étroitement avec les employeurs, les centres pour l'emploi, les syndicats, les centres d'enseignement et de formation professionnels, etc. Les compétences, connaissances et attitudes nécessaires pour une telle coopération deviennent donc un élément important de l'ensemble des compétences requises par les enseignants et les dispensateurs de L2.

6. Des difficultés à surmonter et des compétences requises pour les enseignants et les prestataires de L2

Des recherches récentes ont modifié le paradigme en matière de compréhension du langage, d’acquisition du langage (Ortega 2009, Ellis 2008) et d’apprentissage en général (Illeris 2011, Felstead et al. 2011), en mettant davantage l’accent sur les aspects sociaux. Dans une perspective écologique, le langage ne constitue pas un système figé, abstrait et limité, ni un produit, mais un processus de création de sens entre des individus qui interagissent dans des situations concrètes en fonction du temps et de l’espace (van Lier 2010).

Ces nouvelles façons de concevoir les langues et leur apprentissage remettent en question le rôle traditionnel des intervenants et exigent de nouvelles compétences. Si les normes et systèmes linguistiques (phonologie, morphologie, sémantique et syntaxe) peuvent être enseignés et étudiés en classe, la pratique des langues quant à elle doit être approfondie et encouragée « sur le terrain » (http://languagelearninginthewild.com/), dans le cas qui nous concerne sur les lieux de travail et les sites d’enseignement et de formation professionnels (EFP).

Les enseignants et les prestataires de formation, qui ont l’expérience de l’enseignement des normes et des systèmes linguistiques, peuvent fort bien ne pas être familiarisés avec les pratiques linguistiques et communicatives liées au travail. En tant qu’apprenants et professionnels évoluant au sein du contexte social de « l’éducation », ils peuvent néanmoins avoir une connaissance limitée des divers autres modes de fonctionnement qui caractérisent les sociétés modernes, tels que ceux qui sont propres à la « politique », au « monde des entreprises » ou des « affaires ». Les modes de fonctionnement, les visées et les objectifs, les priorités, les exigences et les procédures propres au monde du travail leur sont parfois mal connus, même pour ce qui concerne la langue.

Afin de proposer des modalités d’apprentissage de la L2 qui soient personnalisées, les enseignants et les prestataires doivent être en mesure de définir les exigences et les besoins des apprenants comme ceux du monde de l’entreprise. Pour ce faire, ils doivent explorer le terrain et se familiariser avec une « culture étrangère », comme le feraient des ethnographes.

7. De l’utilisation de l’ethnographie et des méthodes ethnographiques

La recherche en matière de linguistique fait de plus en plus souvent appel à des méthodes ethnographiques présentant différents centres d’intérêt, comme le démontrent de récentes études portant sur la L2 au travail. Ces méthodes peuvent porter sur les besoins en matière de langue et de communication des employés comme des employeurs (Grünhage-Monetti 2009), les récentes tendances observées sur le lieu de travail et la manière dont les formateurs en langues s’y adaptent (Portefin 2012), les possibilités d’interaction et d’apprentissage des langues dans le cadre de stages en entreprise pour les apprenants adultes (Sandwall 2013), les exigences en matière de langue et de communication dans la formation professionnelle initiale (Settelmeyer 2017), les difficultés rencontrées par les apprentis, lorsqu’ils doivent communiquer efficacement et redéfinir leur participation au travail avec les collègues experts qui assurent leur formation (Filliettaz 2018), etc.

Sur le terrain, un nombre croissant de projets s’appuient sur des méthodes ethnographiques comme le projet « Deutsch am Arbeitsplatz in der Kartoffelmanufaktur Pahmeyer » (Thomas 2017) ou le projet Erasmus+ « Compétences de communication pour les migrants et les apprenants issus de milieux défavorisés dans des environnements de travail bilingues » (COMBI) (https://combiproject.eu/).

L’ethnographie est une méthode de recherche qualitative. Elle a été initialement conçue par des anthropologues mais est transposable à d’autres disciplines. L’ethnographie est l’étude approfondie d’une culture ou d’un aspect d’une culture. Son but est de mieux comprendre une pratique ou un ensemble de pratiques au sein d’une culture, de saisir « le point de vue [de la personne ou du groupe étudié], sa relation à la vie, de réaliser sa vision du monde » (Malinowski, Dutton, édition 1961: 25).

Dans le domaine de la L2 liée au travail, l’ethnographie d’entreprise offre aux enseignants et aux prestataires de formation un ensemble de méthodes pour identifier les exigences en matière de langue et de communication sur le lieu de travail concerné, les normes sociales qui y sont associées, les attentes des différents acteurs impliqués et la manière dont les connaissances liées au travail sont établies. Elle s’est révélée être un instrument fiable pour concevoir des supports qui répondent aux besoins des apprenants, des employeurs et des autres acteurs de l’entreprise (Thomas 2017).

Les données ethnographiques relatives à la L2 au travail résultent d’entretiens avec des travailleurs et des acteurs principaux du monde du travail et de l’éducation, de groupes de discussion, d’enquêtes, de la collecte et de l’analyse de documents liés au travail ou d’interactions orales, de photos, de documentations vidéo, etc. La principale technique de collecte de données est l’observation, qui permet au praticien-chercheur de comprendre comment le groupe cible en question interagit avec les autres membres de la communauté de pratique, avec les différents artefacts, les médias et les difficultés auxquelles ils sont confrontés.

En fonction du degré d’implication du chercheur/observateur, il faut distinguer quatre types de recherche fondée sur l’observation (https://measuringu.com/observation-role) : ils vont de l’observation détachée sans participation de l’observateur (observateur à part entière), de l’observateur en qualité de participant, du participant en qualité d’observateur à l’immersion complète dans l’environnement (participant à part entière) (Gold 1958).

Les praticiens trouveront des outils pratiques dans la banque de ressources « La langue pour le travail » et dans la boîte à outils COMBI.

Littérature sur l'étnographie

Cambra Gine M., Une approche ethnographique de la classe de langue, Didier, Paris, 2003.

Géraud M.-O., Leservoisier O. et Pottier R., Les notions clés de l’ethnologie, Armand Colin, Paris, 1998.

Gold R. L., «Roles in sociological field observation», Social Forces, vol. 36, n° 3 (mars 1958), Oxford University Press, Oxford, 1958, p. 217-223, DOI: 10.2307/2573808, https://www.jstor.org/stable/2573808.

Gumperz J. et Hymes D., «The ethnography of communication», American Anthropologist, Special Publication, American Anthropological Association, Washington DC, 1964.

Hammersley M., What’s wrong with ethnography?, Routledge, London, 1992.

Hymes D., Foundations in sociolinguistics. An ethnographic approach, University of Pennsylvania Press, Philadelphia, 1974.

Merriam S., Qualitative research: A guide to design and implementation, Jossey-Bass & Sons, San Fransisco, 2009.

Malinowski B., Argonauts of the Western Pacific: An account of native enterprise and adventure in the Archipelagoes of Melanesian New Guinea, Routledge and Kegan Paul, London, (Enhanced Edition reissued Long Grove, IL: Waveland Press, 2013), 1922.

Wenger E., Communities of practice: learning, meaning and identity, Cambridge University Press, New York, 2000.

Walsh D., Doing ethnography, in Seale C., Researching society and culture, Sage, London, 2004, p. 225-238.

Winkin Y., Anthropologie de la communication. De la théorie au terrain, De Boeck Université/Éditions du Seuil, Paris, 2001.

Littérature (citations dans le texte)

Communication competences for migrants and disadvantaged background learners in bilingual work environments’ (COMBI), https://combiproject.eu/.

Felstead A., Fuller A., Jewson N., Unwin L., Praxis No. 7. Working to learn, learning to work, UK Commission for Employment and Skills, London, 2011,
www.ukces.org.uk/assets/ukces/docs/publications/praxis-7-working-to-learn-learning-to-work.pdf.

Filliettaz L., Esigenze linguistiche dell’apprendimento sul posto di lavoro: potere e incomprensioni nelle interazioni di formazione professionale, in Braddell A., Grünhage-Monetti M., Lingua e lavoro, Loescher, Torino, 2018, p. 94-107.

Grünhage-Monetti M., Learning needs of migrant workers in Germany, in Workplace Learning and Skills Bulletin , Issue 7, Simon Boyd Publishing, Cambridge, 2009, p. 17-18.

Illeris K., The fundamentals of workplace learning, Routledge, London, 2011.

Portefin C., Adaptation des formateurs en milieu professionnel dans un environnement en mutation, in LIDIL, 45/2019, ELLUG, Grenoble, 2012, p. 27-49.
http:// lidil.revues.org/3176 and https://languageforwork.ecml.at/Portals/48/documents/lidil-adaptation-des-formateurs-en-milieu-professionnel-dans-un-environnement-en-mutation.pdf.

Sandwall K., Handling practice – Second language students’ opportunities for interaction and language learning at work placements. English abstract in the original publication in Swedish: Att hantera praktiken – Om sfi-studerandes möjligheter till interaktion och lärande på praktikplatser, 2013, https://gupea.ub.gu.se/bitstream/2077/32029/2/gupea_2077_32029_2.pdf.

Settelmeyer A., Widera C., Schmitz S., Schneider K., Abschlussbericht 2.2.304 – Sprachlich-kommunikative Anforderungen in der beruflichen Ausbildung, Bundesinstitut für Berufsbildung, Bonn, 2017, https://www2.bibb.de/bibbtools/de/ssl/dapro.php?proj=2.2.304

Tomas C. (2017), Deutsch am Arbeitsplatz in der Kartoffelmanufaktur Pahmeyer. Abschlussbericht 2017, IQ Netzwerk Nordrhein-Westfalen, Bielefeld.
https://languageforwork.ecml.at/.....Pahmeyer.pdf.

van Lier L., Ecological-aemiotic perspectives on educational linguistics, in Spolsky B. & Hult F. M. (eds.), The handbook of educational linguistics, Wiley-Blackwell, Oxford, 2010, p. 96-605.